Rêves de Robinson
Entre deux projets internationaux, le designer et architecte d’intérieur français François Champsaur nous parle d’équation entre nature, cuisine et écologie depuis son joli cabanon à Marseille.
Les goûts actuels oscillent entre deux mondes. Il y a ceux qui rêvent de grandes maisons design avec cuisine américaine et baies vitrées donnant sur une piscine, et d’autres pour lesquels le plus grand luxe consiste à cultiver son jardin secret dans un cabanon sans prétention, une tisane de romarin à la main. François Champsaur fait partie de ce camp-là, de ceux qui préfèrent le vin nature au verre de Coca Cola. « Laissez votre voiture garée en bas sur la Corniche », nous précise-t-il par sms en nous envoyant l’adresse de son refuge planqué sur les hauteurs de Marseille, sa ville natale. Pour aller à la rencontre de ce partisan de slow architecture, il faut grimper à pied à travers un entrelacs de petites ruelles pentues et chauffées par le soleil.
Basé à Paris, le designer et architecte d’intérieur est bien trop attaché à la culture du Sud pour se priver toute l’année du contact avec la mer. Voilà pourquoi il partage son temps entre la capitale, Marseille et Majorque, où il s’est bâti un autre refuge de Robinson à peine plus grand que celui-ci. Ses deux cabanes ont été agencées avec des matériaux locaux sur un modèle équitable, et rivalisent en termes de vues privilégiées sur la Méditerranée.
Le premier séduit par sa touche moderniste, parée de coffrage en bois et de touches colorées, l’autre possède un parterre de brises soleil en terre cuite qui vous donnerait envie d’écrire tout un roman allongé sur le sol.
On aurait pu croire à du bluff, mais cette bicoque marseillaise a vraiment l’air d’un cabanon. Ce genre de mini paradis qui prouve que le bonheur ne se comptabilise pas en mètres carrés. On y entre par la cuisine où des cagettes de légumes et de fruits, frais du marché du jour, font office de décor coloré, vivant et odorant.
On l’aura vite compris, la nourriture est devenue l’une de ses préoccupations favorites. Une passion qu’il partage avec son collègue et ami Rudy Ricciotti, architecte star installé à Bandol, avec lequel il collabore sur un projet immobilier « différent et anti bling» à Monaco. « Je l’adore parce qu’il est radical et intello à la fois », dit-il à son propos. « Il est encore plus obsédé que moi par les aliments naturels. Son dada, c’est de manger les choses à l’état sauvage. »
Ironie du sort, le premier client de Champsaur fut le chef Troisgros… L’an dernier, le designer a aménagé— toujours avec cet esprit du sud, tout en plâtre, en pierre brossé et bois chaud — l’intérieur du divin Café Ineko, rue des Gravilliers, à Paris, où l’on peut se procurer des farines anciennes et de bons produits artisanaux. « Le design industriel a voulu nous imposer des produits parfaits alors qu’on aime les choses tordues. Je m’en méfie autant que d’une tomate industrielle trop rouge, trop ronde. Quand c’est trop parfait, c’est signe de mauvaise santé», commente-t-il avec humour.
On en revient toujours aux aliments, la base de tout. « Je ne suis pas contre le progrès, mais il est temps de regarder ce qui se passe autour de nous. L’ancien modèle s’écroule, il faut accompagner le changement. A l’époque, quand j’étais aux Beaux arts, des designers comme Sottsass ou Branzi véhiculaient de la contre-culture. Aujourd’hui, la contre-culture, c’est l’écologie. Les chefs, qui s’intéressent aux produits et à la terre, ont un pas d’avance sur nous. Notre métier n’a pas encore fait sa révolution ».
Chic avant l’heure, Champsaur a toujours été un fan d’architecture vernaculaire, en osmose avec l’environnement. Ce qui l’importe, c’est comment on dort, comment on mange, comment on rêve. La poésie d’une assise, les ombres portées sous une pergola, le contraste d’une touche jaune soleil sur un mur en bois brut. Et ce n’est pas non plus comme s’il ne fabriquait que des maisonnettes. Cela fait vingt ans qu’il appose sa signature sur des projets privés de luxe ou dans l’hôtellerie étoilée : l’hôtel Vernet à Paris, le Royal Evian, le Bailli de Suffren dans le golfe de Saint-Tropez… la liste est longue. Le pape de l’hôtellerie Ian Shrager vient même de faire appel à lui pour un projet hôtelier à Madrid avec l’architecte John Pawson.
On aime son goût pour l’harmonie entre intérieur et extérieur, sa recherche de simplicité inspirée des habitats bohèmes, son côté « less is more » appuyé par un façonnage artisanal bien pensé, qui donne du sens à l’espace. Champsaur déteste les mises en scènes dans des coquilles vides. Même sur les questions d’énergie, il prône le local. « On a été élevé au pétrole, mais l’électricité, c’est simple à fabriquer», dit-il à propos de son récent projet éco-conçu à Saint Barthélémy, l’hôtel Manapany, fondé sur le respect de l’environnement: autonomie totale en eau, petites cahuttes en bois, meubles éthiques et jardin en permaculture. L’année d’avant, il avait redonné son esprit « vacances » au Bailli de Suffren, superbe hôtel « les pieds dans le sable », où l’on peut savourer une douche ou une sieste en plongeant ses yeux dans la grande bleue. Douceur et art de vivre Méditerranéen colle à la peau de tous ses projets. On ne renie pas ses racines.